Pascal
Il y a des jours comme ça où l’on est presque étranger à sa propre existence...
Du bon thermique sous le vent
C’était un peu mon cas ce samedi où je suis monté voler sans vraiment me préparer, où j’ai décollé sans vraiment analyser, où j’ai pris mon premier thermique (1) presque par automatisme…
Ce premier-là, ceci dit, m’a bien aidé à me réveiller ! Du bon thermique sous le vent et pas vraiment centré au départ mais une première paupière ouverte m’a permis de constater que 50m plus loin, l’air était jaunâtre. Du pollen ! Je fonce dedans et bingo, du 3m/s (2) m’aide à émerger tout à fait.
Je suis déjà au plafond (3) où je rejoins Eric qui part en direction du Saut du Gier. Je choisis pour ma part de partir vers la Croix de Chaubouret en passant entre deux nuages. C’est à ce moment, une fois bien engagé dans la transition que je regarde l’altimètre pour constater que je ne suis pas si réveillé que cela… A peine 1900m d'altitude…
Résultat J’arrive au bout de la transition (4) en étant presque en mode survie. Cette fois je suis tout à fait dans mon vol, il n’y a pas le choix et alors que je ne faisais que regarder, je commence enfin à voir.
La dérive que je croyais Nord-Est est en fait Nord voir Nord-Ouest par moment, au grès des déclenchements, ce que confirme mon instrumentation de bord. Je décide donc de revenir en arrière, sous les nuages en provenance de Luzernod mais en attaquant par l’ouest et ça marche ! Enfin pas tout de suite en fait car cela fait quand déjà trente minutes de vol et je n’ai pas passé la Croix de Chaubouret, question moyenne horaire, c’est lamentable.
De toute façon, à ce moment-là, compte tenu des plafonds, ma plus grande ambition est d’aller à St Genest Malifaux. J’entame donc le cheminement avec toujours, à ce moment (et surtout à cette altitude), le cœur qui balance entre la sécurité des prés à l’Ouest et la meilleure probabilité d’être sous la bonne ligne de convection (5) à l’Est.
Effectivement, je ne suis pas au bon endroit et me retrouve de nouveau bas à 1600 au-dessus des Grands Bois. C’est le moment de mettre en route le cerveau en le connectant directement aux yeux en mode exploratoire étendu pour trouver le détail qui va faire la différence parce que les nuages ne répondent déjà plus à la belle logique précédemment exposée. Ça va être long… ou court, suivant le point de vue.
C’est un rapace, quelques centaines de mètres plus loin qui récompensera ce bel effort de concentration en me balisant un bon +2m/s, particulièrement bien venu et que j’ai, du coup, particulièrement bien soigné en l'enroulant jusqu'au plafond !
1. Thermique : Colonne d'air ascendante dans laquelle nous tournons afin de monter en altitude. Nous imitons en cela les rapaces comme les Buses, les Milans,...
2. x m/s : mesure de la force du thermique
3. Plafond : C'est l'altitude maximum (ou presque) que l'on peut atteindre avec les thermiques. Il est souvent matérialisé par la base un peu sombre de notre nuage préféré, le cumulus
4. Transition : Parcours entre deux thermiques. C'est comme cela que nous cheminons sur de longues distances
5. Ligne de convection : Alignement plus ou moins régulier des endroits où l'on peut trouver des thermiques. En général, cela s'organise le long des lignes de Crête ou dans l'axe du vent.
Surfer au bord des cumulus
Me revoilà reparti avec un espoir renaissant, vite éteint par un long passage à vide où les nuages semblent fuir à mon approche… Ce n’est guère bon pour l’estime de soi et encore moins pour l’altimètre qui affiche aux alentours de 1400m aux environs de Chaussître.
L’aérologie est complexe et je m’y reprendrai à deux fois pour reconquérir un misérable plafond à 1900m, fortement dérivé vers le sud.
Pendant cette laborieuse ascension, je regarde plus attentivement le ciel vers le Sud -Est et constate que la ligne de convection est désormais bien matérialisée par une rue de nuages (6) en forme d’arc de cercle. Certains cumulus bourgonnent mais tout le plateau côté Ouest est parfaitement bleu. Il n’y a donc pas de risque que cela parte en orage d’une part et d’autre part, le chemin étant tracé, il convient de le suivre, fusse les pieds dans les feuilles.
Sur ce point, je suis servi car c’est à 1306 m exactement que je retouche un vrai thermique, sur une crête exposée Nord-Ouest et que j’espérais voir cumuler le double avantage d’une exposition correcte au vent de nord et un bon contraste avec un terrain au pied ressemblant furieusement à celui de Chaudeyrolles. Bingo ! Ca monte et fort, retour au plafond .
Mes analyses de « plaineux » (7) s’avèrent les bonnes car une fois passé St Regis du Coin, la route de St Bonnet le Froid s’ouvre en grand avec, s’il vous plait, le premier plafond à 2000 du vol. Cette fois c’est bon, je suis au bord de la rue de nuage et le vol s’accélère notablement.
Je « ride » le bord des cumulus en m’écartant des plus gros et en me rapprochant des plus inoffensifs. C’est le moment où enfin, il est possible de poser un peu le cerveau et de profiter du paysage et du plaisir de surfer ces gigantesques masses cotonneuses, seul, en liberté.
Tiens, si je sortais la caméra embarquée, cela ferait de belles images. Ni une ni deux, je sors la bête… qui refusera obstinément de se mettre en route, ce qui vaudra au plateau quelques noms d’oiseaux inconnus des ornithologues… Bref, je range cette m… Tant pis pour vous, vous viendrez voir par vous même. Non mais
6. Rue de nuages : Matérialisation par des nuages de type cumulus d'une ligne de convection.
7. Plaineux : pilote de vol libre s’adonnant à son sport favori en plaine ( oui c'est possible en partant d'une petite butte ou en treuillé). Le record de France date de mai 2019 et est établi à 417 km !. Reims/Tarnac sans une goutte d'essence!!)
Le moment « efferalgan » du vol
Pendant ce temps-là, les conditions se sont dégradées au Sud-Est et la route vers Aubenas s’encombre d’esthétiques mais peu hospitaliers rideaux de pluie. Ma belle rue est une impasse mais la route vers Chaudeyrolles, bien que longue est encore elle, bien dégagées. Les cumulus ont une belle forme mais ils sont loin les uns des autres.
Je lâche donc ma rue, que dis-je, mon avenue pour quelques ruelles tortueuses et surtout une dérive bien Sud alors que mon but est plus à l’ouest mais heureusement, il y a des jours où c’est comme dans les livres. Un contraste au sol, le vent qui couche le thermique et le nuage au-dessus. Il faut juste viser entre les deux… et regarder les hirondelles ( c’est fou ce qu’elles sont moins nombreuses encore cette année). Elles m’aident à centrer au mieux le noyau, quitte à remonter au vent pour trouver mieux et se réaxer.
Ca y est, vers les Vastres, à la limite de la Haute Loire et de l’Ardèche, je tourne sous mon dernier nuage. Il ne faut pas se tromper à ce moment-là car si je monte trop haut, je vais dériver et je ne pourrai plus revenir au vent. Si je pars de trop bas, je n’arriverai pas en finesse (8)…
C’est le moment « efferalgan » du vol, je réfléchis, tergiverse, décide, annule et à 2000m tout rond je pars en glide et vise le suc juste avant le village de Chaudeyrolles. Je ne saurai trop expliquer pourquoi à ce moment-là mais un facteur dont je suis certain c’est sans aucun doute la « complicité », je ne trouve pas d’autre mot, entre ma Triton (9) et moi. C’est comme ça, on se connaît tous les deux désormais, on se comprend.
C’est parti donc et ce glide-là est de celui où l’on ne touche pas la sellette (10) entre le bout du coverleg et les sangles d’épaule. On s’étire des fois que ça améliore la finesse… A défaut de tour de magie, j’optimise, les yeux rivés sur le vario (11), un pied sur l’accélérateur, les mains bien en ligne dans la trainée des élévateurs. Accélération quand sa descend, ralentissement quand ça monte, même un peu. Si j’avais croisé la route d’un éléphant volant à ce moment-là, je ne l’aurai même pas calculé. D’ailleurs c’est peut-être ce qui s’est passé, allez savoir !
De bulle en petit rebond, la voile à finesse plus que max, je raccroche à… 21m au-dessus d’une haie d’arbre et du toit d’une ferme dans le col. Le vent est bien axé et le vario se remet à sonner, je recommence à toucher le fond de ma sellette, fin du travail de gainage !
Un, deux, trois tours qui me remonte au-dessus et je me jette dans le marais…En regrettant immédiatement de n’avoir pas fait deux ou trois tours de plus…
Je vois Sébastien Harre, de l'école Altitude parapente, décoller son Biplace et monter devant, me jette sous lui, fait là aussi trois aller et retour et me pose au décollage de Chaudey, bien alimenté en vent et en pilotes. 61 km en ligne droite et des étoiles plein les yeux.
Il y a des jours avec et des jours sans, c’était la première version ce jour-là avec en prime une récupération trois étoiles par Pascal, jeune pilote de Villars qui repartait chez lui et qui m’a gentiment proposé de m’emmener et qui surtout, a supporté mes volubiles enthousiasmes sur tout le retour. Merci à lui !
8. Finesse : Performance maximum de l'aéronef en ligne droite. A 100 m de haut en finesse 10, un pilote parcour 1000m, à finesse 12, 1200m,etc...
9. Triton : C'est le nom de ma voile du constructeur Autrichien Nova. Une voile assez performante
10. Selette : C'est le nom spécifique au Vol libre du harnais dans lequel nous nous installons. Un coverleg indique que nous voulons en couché dos, dans le lit du vent pour plus de performance.
11. Vario : Nom complet, variomètre. C'est un instrument qui nous dit si l'on monte ou si l'on descend et à quelle vitesse